Le lycée accueillait mercredi 2 octobre 2019 Maryvonne BRAUNSCHWEIG (CNRD) pour une double intervention (résumé ci-dessous) suivie d'un entretien (suivre le lien) mené par Astrid van de Blankevoort (TES1 SID) et Ninog Jouanno (TS3 SIA). Merci à notre invitée pour la richesse de son propos, sa flamme communicative et la force des destins évoqués.

 

Le 2 octobre 2019, Maryvonne Braunschweig est venue au lycée François 1er pour nous parler de la déportation en Seine-et-Marne, et plus particulièrement de la répression et de la déportation à Fontainebleau de 1940 à 1944. Elle a réalisé un projet d’action éducative au collège de la Vallée à Avon en 1987-1988 sur les déportés d’Avon. La même année sort le film de Louis Malle Au revoir les enfants, qui raconte l’histoire de son camarade de classe Jean Bonnet ou de son nom allemand Hans-Helmut Michel, déporté pendant sa scolarité.

Répression et déportation à Fontainebleau-Avon : les enfants juifs du collège des Carmes et le père Jacques

Le 22 juin 1940, l’armistice entre la France et l’Allemagne nazie est signé. Selon celui-ci, les Allemands dirigent la zone occupée, mais un gouvernement français existe toujours (à Vichy). La France est le seul pays occupé à avoir une double autorité pendant la Seconde Guerre mondiale. Des mesures contre les juifs sont  mises en place très tôt, notamment avec l’ordonnance du 27 septembre 1940 qui oblige les juifs à se faire recenser. Le mot « Juif » est alors écrit sur leurs cartes d’identité qui deviennent obligatoires même pour les enfants juifs. Les ordonnances, décisions prises par les Allemands, doivent être distinguées des lois qui, elles, sont prises par le gouvernement de Vichy. Les mesures antisémites ne cessent de se multiplier. Selon la loi du 3 octobre 1940, les professeurs juifs ne peuvent plus enseigner. Lucien Weil, un professeur du collège Carnot, l’ancien nom du lycée François 1er, est exclu de l’enseignement. Le père Jacques, au petit collège des Carmes à Avon, le fait travailler de temps en temps. Le père Jacques protège aussi trois enfants juifs : Hans-Helmut Michel (Jean Bonnet), Maurice Schlosser (Maurice Sabatier) et Jacques-France Halpern (Jacques Dupré), tous trois scolarisés au petit collège des Carmes, mais sous de fausses identités. Le 15 janvier 1944, les Allemands investissent ce collège et les arrêtent ainsi que le père Jacques, Paul Mathéry et Lucien Weil. Paul Mathéry était le secrétaire de la mairie d’Avon dont le maire était Rémy Dumoncel. Tous deux avaient fourni les nouvelles identités aux trois jeunes à l’aide de vrais documents remplis avec de faux noms. Tous deux faisaient aussi partie d’un réseau de résistance qui devait sans doute faire du renseignement pour l’Angleterre. Le 15 janvier, suite à l’arrestation des enfants et du père Jacques, le SS Korff, officier allemand du SiPo-SD (Sicherheitspolizei-Sicherheitsdienst), annonce que la fermeture du collège. Les trois adolescents juifs (13, 15 et 17 ans) ainsi que la famille de Lucien Weil arrêtée le même jour sont envoyés à Drancy puis déportés au camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau le 6 février, où ils sont assassinés dans une chambre à gaz dès leur arrivée. Paul Mathéry et le père Jacques sont emprisonnés à Fontainebleau puis transférés à Compiègne avant d’être déportés à Mauthausen. Le 4 mai 1944, c’est au tour de Rémy Dumoncel d’être arrêté par les Allemands puis déporté en Allemagne : lui aussi meurt dans un camp de concentration. Rémy Dumoncel et le Père Jacques ont été reconnus « Justes parmi les nations » en 1985 pour l’aide qu’ils ont apportée aux juifs, au péril de leur vie.

Adélaïde Hautval (2e intervention)

Adélaïde Hautval est née en 1906 à Hohwald et est morte en 1988. Elle a vécu un destin exemplaire dans la tragédie. Elle grandit en Alsace et fait des études de médecine. Elle devient alors psychiatre à Strasbourg. Tout commence à cause d’une histoire de bagage. Lors d’un voyage, son bagage n’arrive pas à destination. Elle essaie de le retrouver à Vierzon sur la ligne de démarcation. Là deux policiers allemands insultent la France ; très patriote, et germanophone, elle réplique. Comme elle n’a pas d’Ausweis (autorisation allemande de franchir la ligne de démarcation), elle est arrêtée et condamnée à cinq semaines de prison. En prison, elle découvre une femme portant l’étoile jaune, ce qui la scandalise. Elle s’en fabrique une en papier, l’agent de la gestapo qui le découvre lui dit : « Puisque vous les défendez, vous partagerez leur sort » ! Et elle est envoyée au camp de Pithiviers d’internement pour juifs de Pithiviers. Elle y exerce les fonctions de médecin et fait tout son possible pour aider les internés juifs. Après plusieurs transferts en France, elle est déportée le 24 janvier 1943, dans un convoi de 230 résistantes dont Danielle Casanova, Marie-Claude Vaillant-Couturier et Charlotte Delbo à Auschwitz-Birkenau, premier convoi de femmes résistantes et seul convoi de femmes non juives à Auschwitz. À leur arrivée, elles chantent la Marseillaise, redonnant du courage aux autres femmes de toute l’Europe déjà détenues en ce lieu. Toutes ont leur matricule tatoué sur l’avant-bras gauche ; le sien : 31 802. Étant médecin elle est affectée à un block de l’infirmerie.

Dans ce complexe concentrationnaire, des médecins allemands réalisent des « expériences médicales » en gynécologie. Leur but : pouvoir stériliser les femmes des peuples jugés inférieurs. Ils utilisent des détenues juives comme cobayes, leur injectent des liquides caustiques, les irradient aux rayons X, puis les opèrent… Les docteurs Wirths et Clauberg lui demandent sa participation, elle refuse, comme elle le fait par la suite avec le Dr Mengele. Pour son refus, elle aurait dû être exécutée et y échappe de peu. Elle est ensuite envoyée au camp pour femmes de Ravensbrück où elle essaie d’éviter l’envoi vers la chambre à gaz des détenues les plus affaiblies. Après la libération de ce camp, elle reste encore deux mois sur place afin de soigner les survivantes trop affaiblies. Adélaïde Hautval est un exemple de courage et de droiture morale. Elle est reconnue Juste parmi les nations dès 1965 (la quatrième en France). En 1988, très affaiblie et malade, elle se donne la mort.

“Haïdi, c’est une conscience ! ” a dit d’elle Marie-Claude Vaillant-Couturier, sa camarade de déportation.

Astrid van de Blankevoort (TES1) et Ninog Jouanno (TS3), le 2 octobre 2019